Pierre- 23/05/2023

Jack London corrosif et sarcastique !

Revenir à la lecture d'un auteur familier, qui nous est cher, c'est retrouver des sensations, des émotions qu'on éprouve qu'à de rares occasions. Ces auteurs qui nous font nous sentir chez nous, en terrain connu. Et dont on excuse les ouvrages mineurs parce qu'on aime, malgré tout, retrouver une plume, une vision du monde familière. C'est comme enfiler un vieux pantalon, de vieilles Charentaises dans lesquels on se sent bien. Trève d'analogies pantouflardes ! L'auteur vers lequel je reviens sans cesse, après des errances vers d'autres écrivains, genres littéraires ou après des pannes de lectures - ça ne surprendra pas ceux qui me suivent depuis un moment - c'est ce bon vieux Jack ! Peut-être parce que ses écrits sont tant marqués du sceau de son expérience de quarante années. Par certains égards, on peut lui trouver plus de légitimité que d'autres à s'exprimer, en tout cas, une plus grande authenticité dans les domaines qu'il aborde. Lorsque dans la nouvelle, « L'apostat », il narre la vie d'un adolescent trimant à l'usine, on a pleinement conscience du caractère semi-autobiographique de cette dernière. Chez London, il n'y a pas de posture ou de prétention à se mettre à la place d'êtres à la condition qu'il n'a pas lui-même connu et vécu dans sa chair. Il est à la fois Martin Eden, Elam Harnish, Ernest Everhard, le petit Johnny de « L'apostat », Tom King : ce vieux boxeur sur le retour de la nouvelle « Le bifteck ». Peu importe qu'il fut l'auteur le plus lu de son temps et qu'il fit fortune grâce à sa plume, au point de devenir propriétaire terrien, trahissant pour certains son idéal socialiste. C'est cette ambivalence qui fait la richesse de l'écrivain, nourrit son œuvre littéraire. Dans « Quand Dieu ricane », recueil de douze nouvelles qu'il publia dans diverses revues entre 1900 et 1910, les thèmes chers à London sont pratiquement tous passés au crible. On y découvre, toutefois, un humour corrosif, un ton sarcastique et comme une vérité universelle que notre existence est régie par un dieu qui distribue ses bienfaits de manière aléatoire. Ainsi en va-t-il du sort qui s'acharne sur le pauvre coolie chinois, Ah-Cho, condamné à passer sous la guillotine parce que son nom ressemble, à une lettre près, à celui du véritable condamné, dans la nouvelle « Le chinetoque ». Ou encore ce pauvre mousse que ses compagnons naufragés ont décidé de sacrifier, sans se douter qu'une voile vogue dans leur direction pour leur porter secours, dans « Il était un navire ». Des nouvelles à la qualité disparate et inégales, mais qui ont tendance à souligner l'absence de justice immanente. Les bons ne sont pas toujours récompensés et les mauvais châtiés. La vie semblant davantage ressembler, dans une veine camusienne, à un absurde jeu de hasard dans lequel Dieu se délecte des souffrances qu'il inflige aux hommes avec jubilation.