Lire le plus grand stratège de l’histoire à l’aune de la résurgence des crises est primordial pour saisir les mystères de la géopolitique classique dont il se fait le chantre.. En effet, Brzezinski réfléchissait sur la préservation de la prépondérance américaine après le 11 septembre. Cet événement a eu une répercussion sur l’état même des USA dans la sphère internationale.. eux qui avaient déclaré la fin de l’histoire sous la plume fukuyamesque ,dans laquelle la fin des idéologies totalitaires allait mener à l’expansion pacifique du libéralisme dans le globe, se sont calfeutrés dans le prisme du pessimisme. Le choc des civilisations fut le fer de lance intellectuel de la lutte contre le terrorisme international avec des positions manichéennes qui défrayent les passions et rendent légitime la guerre préemptive. Brzezinski, grand réaliste réfute dans ce livre l’idée de choc des civilisations en arguant que l’islam et l’occident sont arrivés au même stade que l’Allemagne et le Japon d’après guerre. La solution devrait de mener les sociétés musulmanes vers la démocratisation progressive, tout en empêchant le caractère de contrainte qui fut le levier pour les deux pays déchus après 1945. L’islam est une religion, il faut donc tenir compte de ce critère pour mener vers cet objectif. Pour Brzezinski, il faut pacifier le Moyen Orient en s’attaquant au problème israélo-palestinien, condition sine qua non à une paix durable dans cette zone. Nous sommes à un moment de crise que même Brzezinski avait prédit, le 7 octobre constitue un tournant. De fait, le terrorisme islamiste sous l’égide du Hamas rompt avec la politique réaliste des États Unis dans la zone. Brzezinski regrette le refoulement des acteurs politiques des conséquences politiques du terrorisme, ainsi que l’erreur fatale des dirigeants sur la guerre contre le terrorisme.. on ne peut pas combattre une méthode !!!! Ce que Macron n’a pas compris lui aussi malgré son pragmatisme et son intelligence. La seule façon de régler le conflit est la solution (aujourd’hui) illusoire du bi-étatisme avec les frontières de 1967, une démilitarisation de la Palestine sous mandat onusien et une reconnaissance sans condition d’Israel par les États Arabes (selon Brzezinski).
Pour lui, hormis ce conflit, il y a quatre remparts au leadership américain : la place de l’Europe potentiellement unifiée, le désordre des “Balkans mondiaux” (du Golfe persique au détroit de Malacca - l’Arc des crises -), la place de l’Extrême-Orient avec sa situation “métastable” entre une Chine renaissante et un Japon faible politiquement, démographiquement et militairement mais prééminent économiquement puis enfin la mondialisation.
Concernant l’Europe, il admet l’impossibilité d’une Europe souveraine militairement (elle doit rester dans le paradigme de la “norme sans force” (Zaki Laïdi) ). Une Europe indépendante des États Unis remettrait en cause sa prépondérance dans tous les continents notamment dans ces deux chasses gardées : Le Moyen Orient depuis 1945-1956 qui est sous protectorat américain et l’Amérique latine depuis Monroe et sa doctrine. En effet, l’Europe dotée d’une force de projection militaire peut se rapprocher de sa périphérie directe et tenter de résoudre certains conflits. Elle est implicitement concernée par les tensions du Moyen Orient puisque 30% de son gaz et de son pétrole provient de cette périphérie. L’Europe a tout intérêt a pacifier le Moyen Orient pour jouir de cette manne énergétique indispensable à son mode de vie. Cependant pour le stratège, l’unification européenne et l’action d’une Europe-puissance est impossible étant donné la lenteur du processus de construction et d’intégration. Les États-nations font régner leurs intérêts avant celui de cette communauté. De surcroît, l’Europe sans l’Amérique retomberait sûrement dans des conflits nationalistes, dans des tensions qui ravivent les souvenirs de 1914. Il dit même que “l’Amérique sans l’Europe est prépondérante mais ne peut espérer viser l’omnipotence mondiale tandis que l’Europe sans l’Amérique est vouée à l’impuissance”. Ainsi, le partenariat euro-atlantique doit servir l’intérêt des deux, sans part égal étant donné du dynamisme américain et du déclin démographique de l’Europe. L’Amérique doit rester le fer de lance mais avec l’Europe en partageant des responsabilités et des intérêts semblables. Comme disait Baudelaire, “Heureusement qu’il y a un malentendu, car sans le malentendu, on ne s’entendrait jamais”, de fait, la divergence ne doit pas être un obstacle sinon cela mènerait à l’impuissance et le désordre continuera. De fait, cette alliance peut essayer de donner sens au problème des Balkans eurasiens ou mondiaux (qu’il théorise dans le Grand Échiquier, 1997). En effet, cette zone est dangereuse étant donné la présence d’Etats nouveaux, instables et deux puissances dotées de l’arme nucléaire (l’Inde et le Pakistan) qui peuvent faire causer une prolifération aux terroristes ou donner envie à d’autres États de se doter de l’arme ultime (Corée du Nord et Iran). Par cela, les États-Unis doivent s’impliquer à intégrer les nouveaux États pour Brzezinski, s’implanter en Asie centrale pour pacifier et utiliser les quatre acteurs majeurs eurasiens : la Turquie, l’Iran, la Chine et la Russie et éviter le contre-credo (la coalition anti-hégémonique du Grand Échiquier - un axe Moscou-Beijing-Téhéran). Cette perspective doit se fonder sur l’élargissement et l’intégration vers l’Est qui constituera une “tête de pont de la démocratie” (une arrière-base pour projeter les opérations conjointes tout en faisant de cette Europe libérale un objet de désir et d’imitation : la démocratie attire).
Mais le chemin est périlleux, le terrorisme sévit, la Russie, la Chine et l’Iran se lèvent contre la prépondérance américaine en prônant le monde multipolaire. Ce qui amène Brzezinski à interroger la question de l’Asie, une Asie “métastable” (au delà de la stabilité en réalité), l’Asie, dans un simulacre de paix et de stabilité ressemble à l’Europe de 1914. La présence américaine est indispensable pour éviter un éclatement de ce simulacre de paix entre une Chine renaissante et visant la domination régionale et un Japon endormi militairement par la présence américaine tout en ayant la possibilité de s’armer. Par cela, il faut chercher la convergence entre Japon et Chine pour éviter la collusion (au sujet de Taïwan), éviter l’isolement japonais qui reflèterait la position britannique depuis la Guerre de Cent Ans : un éloignement du continent et une création d’une identité postcontinentale. Comme on l’observe, les EUA sont indispensables selon lui car ils ont fait régner la paix depuis 70 ans dans cette partie qui respecte le centre économique mondial depuis 1970. Mais en réalité, n’est ce pas éviter qu’une puissance émerge en Eurasie ?
Enfin, la mondialisation, ce processus d’extension des marchés produits par le caractère instantané permis par les communications, pourrait être à la fois la clé de voûte de l’hégémonisme américain ou le signe de son glas. La création du société mondiale dont le centre est Washington suscite séduction et méfiance (épris d’un anti-américanisme) ou les deux. Pour Brzezinski, Washington est le centre névralgique du Monde. Dans un triangle au sein de la capitale : nous avons l’administration américaine et les locaux de l’administration économique et politique mondiale où convergent puissance hégémonique et élite mondiale. Washington dicte la destinée du monde. Hélas, la mondialisation ou sinon l’américanisation du monde (une analyse de Jean Baudrillard) est source de méfiance et de rejet. Une partie du monde lutte contre l’hégémonie américaine car elle discrimine (Youssef Hindi, la Guerre des États Unis contre l’Europe). En effet, la mondialisation issue de la Pax Americana (1945/1990) a permis la domination des élites européenne et américaine, et l’enrichissement de leurs États au détriment des perdants (le Sud global). De surcroît, menant à la frustration, elle réveille le sentiment de revanche. Cette émotion peut mener au désordre et à la “culture de peur” (Dominique Moïsi). L’instantanéité permise ou causée par la technologie et le processus de mondialisation abolit la sécurité nationale. Un problème dans le monde remet en cause la souveraineté et la sécurité américaine. Le terrorisme affaiblit l’omnipotence américaine. Pour Brzezinski, l’Amérique ne doit jamais de fait se replier sur elle-même, le monde doit être prêt à “{accepter} le leadership américain car il est la condition sine qua non pour échapper au chaos”.
Sa conclusion se résume en deux mots : domination ou hégémonisme. L’Amérique ,étant “le dernier Empire universel” (Le Grand Échiquier, 1997), est malheureusement condamné au déclin. Le sens de l’histoire doit préparer la population américaine à “une communauté mondiale d’intérêts partagées”. La fin de la prépondérance américaine doit préparer le monde non pas une transition de la puissance (World Politics, Abram Organski) mais à une coopération internationale (non pas une gouvernance mondiale) dans laquelle Europe, Extrême-Orient et les États Unis auraient des responsabilités qui garantissent une paix durable et un développement concordant aux ambitions populaires. Ne serait-ce pas “la paix perpétuelle” kantienne ou bien ce règne des fins que ce philosophe inventa ! Ou bien une “illusion perpétuelle” soit “l’impuissance perpétuelle” (La puissance et la faiblesse, Robert Kagan) ? Brzezinski, fin stratège cynique et réaliste, ne promeut-il pas en réalité que dans cette “communauté mondiale d’intérêts partagées”, bien qu’érodé, l’hégémonisme américain persiste notamment dans un partage tel : 45% de la puissance aux États Unis, 25% à l’Extrême-Orient et 25% à l’Europe unifiée et 5% au reste ?
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Le vrai choix : les Etats-Unis et le reste du monde
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