Une totale réussite pour ce roman qui explore l’ambivalence de l’être humain.
Je suis l’homme qui nettoyait. Je n’ai pas de définition de moi-même. Je suis transparent. Je suis invisible.
Je suis la chasseuse de mouches. J’aide les femmes en difficulté. J’ai moi-même vécu un drame.
Je suis la jeune fille à la mèche violette. Je me suis laissé embarquer dans une histoire qui me dépasse et que je n’arrive plus à arrêter.
Je suis la porte verte. Je cache de lourds secrets et une identité malsaine.
Je suis une séquence numérique tatouée sur la peau et je sers en dernier recours.
Je suis un bocal de cornichons posé dans le rayon surgelé d’un supermarché, mais je suis à ma place.
Je suis une « irrésistible force inconnue », on m’utilise quand on ne trouve pas d’expression plus adéquate.
Je suis le lac de Côme, magnifique région d’Italie. C’est dans mes eaux que l’action se déroule.
Je suis l’abysse.
« Je suis l’abysse ». Énigmatique. Insaisissable. Opaque.
Ce roman donne une voix à des personnages uniques que l’auteur a eu l’idée de ne pas précisément nommer. Ce choix, associé à un style narratif propre à chaque personnage fait littéralement exploser le caractère angoissant de cette ambiance malsaine, omniprésente dans tout le récit, tout en gardant cette intense part de mystère qui accroche le lecteur dès les premières pages. Ainsi, l’homme qui nettoyait, « l’ombre » principale du roman, se raconte par petites touches, savamment placées sur l’échiquier de l’intrigue. « Il était né par erreur et il avait été jeté comme un déchet. » Lorsque l’on est traité comme un déchet, il est presque naturel de s’occuper des déchets des autres. « Les poubelles d’une personne racontent sa véritable histoire. Car à la différence des gens, les poubelles ne mentent pas. » D’autres « spectres » et leurs histoires viennent peu à peu effleurer la vie de l’homme qui nettoyait. Ainsi, la chasseuse de mouches, la jeune fille à la mèche violette semblent se raconter sans que le lecteur ait la sensation qu’elles vont lentement pénétrer dans l’existence de l’homme qui nettoyait. En passant, des tranches de vie de l’enfance sont jetées là pour mettre le lecteur dans la confidence. Tout ce petit microcosme qui gravite autour du lac de Côme livre sa valse de souvenirs, d’évènements qui peuvent paraître anodins : un ongle rouge cassé, un bocal de cornichon, une porte verte. Mais attention : « À cause des courants, le lac avale tout et il est rare qu’il rende quoi que ce soit. Et quand il le fait, c’est pour envoyer un message. » Et pourtant, par la construction d’une savante maïeutique, érigée autour de ses personnages, l’auteur parvient à ne jamais perdre son lecteur, tout en maintenant une ambiance angoissante, et très oppressante par moments. Il se paie même le luxe de nous faire sourire par l’insertion de scènes totalement décalées.
Dans « Je suis l’abysse », impossible de savoir à qui se fier… Le roman est axé sur l’ambivalence des personnages, leur part d’humanité, mais aussi leurs côtés sombres. « La programmation » naturelle au bien ou au mal, les compromis faits ou non avec soi-même, l’inclinaison à l’humanité ou au contraire à la cruauté sont les thématiques phares du roman. Il est question aussi de violences faites aux femmes, de l’utilisation de phrases choc pour exprimer un point de vue qui n’a rien de confus, bien au contraire « Le pire bourreau n’est pas celui qui frappe tous les jours, mais celui qui t’apporte des fleurs le lendemain. », mais aussi de violences faites aux enfants « Toutefois, ce qu’il aimait plus que tout était respirer. Il inspira et expira à pleins poumons. Un des petits plaisirs de la vie, auquel la plupart des gens accordaient peu d’attention. L’homme qui nettoyait, lui, avait appris à l’apprécier à cinq ans, alors qu’une piscine putride tentait de l’engloutir. » Un autre sujet éclate à la fin, plus intime, que je garde volontairement confidentiel. Il saura incontestablement bouleverser vos cœurs de mères tant l’auteur exprime au plus juste le pressentiment, la lucidité et l’instinct.
Tout le roman est basé sur l’ambivalence de l’être humain. Ce qui nous construit, ce qui nous déconstruit. Ce qui nous blesse, ce qui nous guérit. Ceux qui nous mettent à terre, ceux qui aident à nous relever. Chacun trouve ici-bas son utilité, sa raison d’être. « L’Homme qui nettoyait avait cherché sa propre valeur pendant des années. Finalement, il l’avait trouvée là où personne n’avait le courage de regarder. Au fond de l’abysse, il avait découvert que même utiliser quelqu’un comme lui pouvait avoir une utilité. » De temps en temps, un prénom s’égare, ici ou là, et Donato Carrisi autorise alors l’ouverture de quelques portes, permet de faire des rapprochements, d’éclairer son roman, de boucler une boucle laissée savamment ouverte. Jusqu’à la toute fin, qui serre les tripes et fend le cœur.
Je suis humaine, avec mes forces et mes faiblesses, ma part d’ombre et ma part de lumière, ma fureur et mon silence, mes contradictions, mes émotions. Je crois connaître ceux qui m’entourent, mais suis-je si sûre de moi ? Et vous ? Êtes-vous l’abysse ?
Une totale réussite pour ce roman qui explore l’ambivalence de l’être humain.
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Je suis l'abysse
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