Chris5867- 14/01/2023

Secrets de filles

Avec « La cour des secrets », Tana French continue de mettre en scène, chacun leur tour, les policiers de la Crim de Dublin. Dans ce roman, c’est Stephen Moran (déjà croisé dans « Les lieux infidèles ») qui enquête. Dans le parc d’un lycée catholique de filles de Dublin très prisé par la bonne société irlandaise, un jeune étudiant d’une école voisine de garçons, Chris Harper, a été retrouvé mort un an auparavant et depuis, l’enquête piétine. Lorsque Holly Mackey, la fille d’un collègue et interne à l’école, lui apporte un indice, il se rend immédiatement dans le lycée avec sa collègue pour une longue, très longue, interminable journée… La construction du roman est intéressante et maline : le roman tout entier se déroule sur une seule journée où les interrogatoires se succèdent, essentiellement des 8 filles (2 bandes de 4 plutôt rivales) suspectées, dont Holly elle-même. Plus la journée avance, plus les versions changent, se contredisent, se couvrent. Mais chaque chapitre du présent est entrecoupé d’un flash back qui déroule chronologiquement les mois puis les semaines d’avant le meurtre au lycée. Dans le chapitre final, le flash back se termine là où commence le premier chapitre du présent (ce n’est pas évident à expliquer). Mais pendant tous le roman, les versions des filles sont mises en parallèle avec la réalité des faits et le puzzle se met lentement, très lentement en place. La psychologie des adolescentes est parfaitement rendue par Tana French, dans toute leur perplexité, leur outrances et leur excès, et l’on se rend compte bien vite qu’un internat d’adolescente friquées, c’est l’enfer ! Tout est exacerbé entre elles, l’amour, la haine, l’amitié, le machiavélisme, le mépris. Tana French, mine de rien, continue d’explorer la société irlandaise moderne au travers de ses polars : les relations sociales (à la limite de la lutte des classes), les effets de la crise économique, le poids de la religion et des interdits. C’est un polar agréable, bien construit et pas mal écrit, pour peu qu’on arrive vite à distinguer les personnalités des 8 filles (pas évident de ne pas les confondre au début) et pour peu qu’on soit sensible aux tourments des adolescent(e)s. Seule élément un peu étrange dans le roman, quelques pointes de surnaturel (fantôme, télékinésie) lâchées ça et la et sans explication, ce qui peut paraître frustrant car au final, on a l’impression qu’il nous manque une toute petite pièce du puzzle. Mais dans l’ensemble, c’est une lecture agréable et un portrait au vitriol de l’adolescence dorée et de ses outrances.