Minette.Morvan- 17/12/2022

Un beau requiem …

Ici, ce n’est pas un hôtel étoilé, mais on y est bien. Pas de registre à remplir, le patron ferme les yeux sur votre vie et ne vous demande pas ce qui vous a conduit jusqu’à lui. Le patron, comme un clin d’œil, s’appelle Jésus et il laisse venir à lui ceux que la société rejette ou qui se sentent en marge de celle-ci. Il vous offre le gîte et le couvert, c’est un peu chiche, mais c’est sans compter l’essentiel. La chaleur d’un regard, la douceur d’une épaule, la main qui se tend, l’oreille qui écoute et la parole qui apaise. C’est ici que Jolene pose un jour ses valises. Ils sont une poignée qui vivent là, loin du bruit, loin de tout … Ils y ont trouvé leur bonheur jusqu’au jour où ils laissent rentrer le loup dans la bergerie. Pour un bonjour refusé, ils vont se révolter contre l’intrusion de cette société, celle qu’ils ont quitté. Cette société qui ne respecte rien, ni personne, qui fait de ses dictats des règles, qui a pour seul besoin celui de superviser, de s’imposer, de rejeter et d’ignorer les faibles, les pas comme il faut, les invisibles. La révolte va monter lentement, les esprits vont s’échauffer. À leur tête, Jolene qui devient leur icône, leur porte-parole, leur égérie. Leurs idéaux, leurs rêves vont peu à peu s’effriter avant de voler en éclats. Gilles Marchand nous offre un requiem qui ne manque pas d’émotion, de générosité, de tendresse et de passion. "Dans la réalité, elle était entourée par les chinetoques, les bougnoules et les bamboulas, les youpins, les gros tas et les boudins, les sacs d’os, les Poil de carotte, les nabots et les avortons, les salopes et les pétasses, les gouines et les pédés, les garçons manqués, les efféminés, les ploucs et les bouseux, les mongoliens et les débiles, les crânes d’œuf et les Queue-de-rat, les rastaquouères, les bâtards, les anciens taulards, les nouveaux crevards et les néoclochards, les boiteux, les bigleux, les neuneus, les peureux, les pas sérieux. Les vieux. Ceux qu’on ne veut plus, les rebuts de la société, les inutiles. Ceux qui n’ont plus rien à nous apprendre, qu’on n’écoute plus, qu’on ne veut plus entendre. Les pas comme il faut, les mal élevés, les malhabiles, les mal finis, les mal foutus, les malades, les bancals. Les sourdingues, les doux dingues et les baltringues. Tous ceux qui prennent trop de place, qui ne rapportent pas assez d’argent, qui ne sont pas faits du bon bois, pas du bon moule, qui n’ont pas la taille standard. Entrée des artistes, sortie à l’hospice. Et sans un bruit. On ne veut pas vous entendre, on ne veut pas vous voir, on veut vous oublier. Surtout vous oublier. Faire semblant que vous n’existez pas, que vous n’avez jamais existé, que vous n’existerez jamais."