Dans un petit village allemand à une époque non déterminée, à l’orée d’une immense forêt, les paysans découvrent un soir une grosse corde qui s’enfonce dans les bois. Cette corde, qui n’était pas là la veille, semble interminable. Les premiers d’entre eux à la suivre reviennent après quelques heures, à cause d’une blessure, et affirment que la corde continue encore et encore. Très vite, les hommes du village, fous de curiosité, entreprennent une expédition pur suivre cette corde jusqu’à son extrémité, tandis que les femmes restent sur place. Les jours passent, les moissons doivent impérativement être faites et pourtant les hommes ne reviennent pas. Cette corde sans fin exerce sur eux une fascination qui va crescendo.
Après la série très intrigante d’Arte, à laquelle je l’avoue je pense ne pas avoir tout compris, je me suis dit que j’allais m’offrir une seconde chance avec le roman. En réalité, plutôt que de parler de roman, on devrait parler de conte. Assez court, le conte de Stefan aus dem Siepen met en scène une petite société un peu isolée (un village) dont la vie semble réglée par les travaux des champs, une vie de labeur et de contraintes. L’irruption de l’inconnu, de l’irrationnel dans une telle communauté crée un cataclysme. Les hommes du village, mû par l’obsession de comprendre l’incompréhensible, abandonne toutes leur obligations et font fi du danger pour suivre cette corde sans fin. Entrainés par l’instituteur, la seule caution un tant soit peu intellectuelle du groupe, ils avancent dans la forêt sans jamais remettre en cause leur quête. C’est la soif de comprendre, inhérente à l’être humain, qui est ici mise en scène, une quête qui fait renoncer à tout. On pourrait faire le parallèle avec les grandes expéditions maritimes vers l’inconnu du XVIème siècle, puis à la conquête du Nouveau Monde. Pendant ce temps, au village, les femmes s’organisent, d’abord elles attendent, ensuite elles s’organisent pour enfin comprendre qu’elles doivent prendre des décisions sans les hommes. Les rares hommes restés au village ayant naturellement tendance à se considérer légitime à commander, bien évidemment… Le roman alterne entre la forêt et le village mais c’est clairement dans la forêt que les choses intéressantes se produisent : psychologie de groupe, tendance à la violence et au pillage, déshumanisation progressive des individus. Peu à peu, les villageois sont de moins en moins des hommes, jusqu’à une issue éminemment violente. Les accidents, les attaques d’animaux, les intempéries, rien ne semble devoir stopper cette course folle et irrationnelle vers le bout de cette corde, sous les imprécations de plus en plus fumeuses de l’instituteur Rauk, dont les arguments sont de plus en plus spécieux. La fin, ironique et cruelle, laisse le lecteur un peu circonspect mais c’était inévitable et logique au regard du livre. C’est court, agréable à lire et très accessible (ce serait une lecture intéressante à faire au lycée, je pense), « La Corde » est un petit conte malin et cruel sur la nature humaine, sa soif de connaissance, sa vénalité et sa violence.
Nœud coulant
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