SudOuest- 12/11/2020

Un écrivain qui vient du froid

Edouard Verkine revisite en un récit halluciné la littérature concentrationnaire Lors d’un voyage d’études, Lilas, jeune ethnographe russo-japonaise, débarque à Sakhaline, et découvre un paysage de cendres contaminé par la guerre nucléaire. Sur l’île maintenant rattachée au Japon, devenue un mouroir concentrationnaire, règnent la désolation et la haine raciale entre déportés et réfugiés. Contre toute attente, la jeune fille s’acharne à y découvrir des pépites d’avenir qui permettraient à l’humanité moribonde de « coopérer avec après-demain ». Elle croit voir, parfois, « le monde à venir faire des tours de manège, léger, merveilleux, pendu à des fils invisibles », comme ces pierres qu’Artiom, son guide, ou l’enfant mutilé qu’ils ont recueilli, équilibrent en d’improbables cairns. Mais l’humanité peut-elle encore rebondir ? Dans la veine du roman post-apocalyptique, sans concession au genre, un monde irradié où un virus redoutable se répand, le récit déploie sa trame picaresque au fil de rencontres de plus en plus pathétiques ou désespérantes, mais chaque fois plus humaines. Dans les pas de Tchekhov Aux confins de l’Extrême-Orient russe, l’île, longtemps disputée au Japon, a été au XIXe siècle un lieu de relégation du régime tsariste. Ému par la condition des bagnards, Tchekhov y avait fait en 1890 un séjour de plusieurs mois dont il ramena un livre de témoignages. Édouard Verkine, lui, est né en 1975 à Vorkouta, métropole minière de la république des Ko- mis, dans la Fédération de Russie, au nord du cercle polaire. La région fut le théâtre en 1953 de la ré- volte tenue longtemps secrète d’un camp soviétique. On retrouve ici comme un écho fantasmé de ce soulèvement et de sa répression terrible. Le bagne, la maison des morts de Dostoïevski, le Goulag : l’univers concentrationnaire est peut-être bien la scène primitive de la littérature russe depuis plus d’un siècle.