Une oeuvre christiano-socialiste en avance sur son temps
L’Utopie, à cheval entre la fiction et l’essai politico-philosophique, est une œuvre pour laquelle il est crucial de connaître le contexte : en plus de l’habituelle aide à la compréhension que cela permet, on est subjugué par l’avance qu’avait More sur son temps. Rousseau, Marx, Kant, Stuart Mill, ou même Gandhi, on retrouve dans L’Utopie les prémices de certains raisonnements traditionnellement associés à ces penseurs. More, humaniste anglais du début du 16ème siècle, catholique sanctifié de manière posthume, était profondément convaincu par la doctrine du Christ et, malgré son ardente défense de l’Église catholique (qui lui vaudra une peine de mort), préservait une grande liberté de penser. Ainsi, à rebours du consensus ecclésiastique de l’époque qui prônait une responsabilisation absolue des individus pour leurs fautes, More, qui vivait dans une société féodale en déclin gangrénée par la corruption et la guerre, comprit à quel point les individus sont façonnés par leur environnement social. Son essai vise alors à imaginer une société insulaire, Utopie, qui serait organisée selon les meilleurs mœurs possibles : très clairement inspiré de La République de Platon, ce texte en est une prolongation innovante et féconde. En effet, il dépasse Platon par son observation de la perversité engendrée par l’opulence et déroule ainsi plusieurs diatribes contre la propriété privée ; il propose des préceptes progressistes tels que la liberté de religion et de débat pour converger vers la meilleure religion possible (comme chez Stuart Mill) ou l’interdiction de la chasse pour les citoyens, jugée cruelle («on juge une société à comment elle traite ses animaux» disait Gandhi) et réservée aux criminels punis. Toutes les institutions de l’île d’Utopie sont conçues pour permettre aux citoyens de cultiver leur esprit par l’étude des sciences et des lettres, conformément à la conception que More a de Dieu, qui, selon lui, chérit ceux qui s’attèlent à contempler et déchiffrer les lois de sa création. Là où Platon se contentait de considérations intellectuelles, More crée un cortège d’institutions et de mœurs sociales prenant en compte les contingences matérielles et donc plus à même de concrètement produire une République idéale. La seule ligne rouge est celle du problème que rencontre le vertueux chez Kant : pour inciter à la vertu, il faut un être transcendant, quel qu’il soit, permettant d’espérer récompense pour sa vertu. Une société qui récuserait cela est vouée, selon More, à être piétinée par ses membres sous le poids de l’individualisme, qui les ferait errer en quête de sens.
La question à se poser après avoir lu ce livre est : est-ce une utopie ? Un scientifique, un philosophe ou un socialiste répondra peut-être oui, tant la société actuelle est désespérante de médiocrité, tant on souhaiterait que les citoyens cultivent leur esprit. Mais la liberté individuelle, telle qu’on l’entend aujourd'hui, est presque inexistante sur cette île qui semble incapable de changements tant l'organisation en est figée, et cela questionne sur la désirabilité d’un tel régime.
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