1890, Afrique, continent immense alors encore à découvrir. L'Europe se l'est partagé pour aller y prendre tout ce qu'il pouvait y avoir de bon, au mépris total des Africains que les Blancs, par intérêt personnel, ont rapidement réifiés, refusant de voir en eux des êtres humains. Les pays d'Europe envoient des expéditions, et ça sent, dès les premières lignes, le grand danger : végétations luxuriantes, forêts dont on ne sort jamais, cours d'eau menaçants, animaux dangereux, maladies tropicales... L'angoisse et les souffrances à venir sont prégnantes.
Paul Claes, géomètre et jeune sujet de Sa Majesté Leopold II roi des Belges, navigue sur le fleuve Congo à bord du Fleur de Bruges. L'Afrique de la fin du XIXè siècle avalait tout cru les occidentaux pour souvent les recracher morts et desséchés. C'est immédiatement envoûtant, et l'arrivée de Xi Xiao, tatoueur chinois et bourreau qui amène au plaisir par la découpe des corps sans souffrance, renforce cette sensation. Cet homme extrêmement mystérieux, qui sait se faire comprendre sans pour autant parler la langue de ses interlocuteurs, possède le don de prescience.
On voit à travers Pierre Claes à quel point un environnement de bout du monde dans une ambiance inhabituelle peut changer du tout au tout le comportement d'un homme, jusqu'à l'amener à faire des choses qui ne lui correspondent pas.
Énormément de digressions, qui visent à raconter le passé des différents personnages, nous ramènent en Europe auprès de personnages réels tels que Verlaine ou Baudelaire, avant de nous replonger en Afrique dans une ambiance moite et sordide. C'est comme un chaud-froid permanent qui m'a rapidement un peu lassée, même si on apprend beaucoup sur le monde artistique de cette fin de siècle en Europe, les lieux fréquentés et les comportements, souvent dans les excès en tout genre. C'est un récit rempli d'hommes qui se noient tragiquement dans l'alcool, ni vivants, ni morts, juste dans un entre deux éthylique funeste. Le racisme, terrible, répugnant, et pourtant commun pour l'époque, envahit tout l'espace dès lors que le récit se passe en Afrique. L'écriture est sublime, mais le propos m'a semblé obscure.
Ce roman est plein de la cruauté et des abominations dont sont capables les hommes, meurtres et mutilations, que certains occidentaux n'étaient pas prêts à voir sans dommages. Le désespoir de quelques-uns est terrifiant, comme si l'espérance et le désir de vivre ne trouvaient plus aucun point d'ancrage dans leurs âmes détruites. On ressent tellement la chute abyssale de ces hommes déjà morts avant la mort. Oui, c'est épouvantable. Et en même temps, c'est plein d'une espèce de fantasmagorie trouble et envoûtante, histoires d'amours multiples et de mort.
C'est une page d'histoire, un conte cruel et sauvage, souvent halluciné, empli de la moiteur des forêts équatoriales où le danger rode de l'humus à la canopée, où on assiste au vol de L'Afrique par l'Europe. C'est beau et glaçant à la fois. Et si parfois je me suis ennuyée, jai été emportée sur le fleuve Congo et ses dangers car la beauté de l'écriture, allégorique et très poétique, souvent onirique, accompagnée de visions psychédéliques, successivement miel ou ciguë, a été un délicieux nectar.
Envoûtant
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