« Il y a quelque chose de pourri dans le royaume »
Quand j’étais en fac d’Anglais, j’ai suivi un cours sur le roman gothique. Depuis, ce genre littéraire occupe une place toute particulière dans mon cœur de lectrice et je me délecte avec joie et avidité des romans contemporains qui en reprennent les codes. C’est donc avec un plaisir non feint que je me suis plongée fin août dans le récit de Natalia García Freire, un roman à la fois hypnotisant et terrifiant qui nous conte la décadence d’une famille.
Dans ce très court récit (160 pages), Lucas – le narrateur – s’adresse à son père, enterré à la va vite dans le jardin de la demeure familiale, et lui rappelle les événements qui sont à l’origine de son décès, mais également de la perte de tout le faste que la famille eut un jour connu. Il lui conte ce jardin autrefois luxuriant, dans lequel son corps repose désormais. Cet éden de verdure dont il ne reste aujourd’hui que des mauvaises herbes, mais qui fut jadis la grande fierté de l’épouse du défunt, Josephina. Pourtant, tout est arrivé si vite. Un soir, deux hommes s’invitent dans la demeure, pour rapidement en prendre possession, insidieusement.
Le père, en bon chrétien, accueille bras ouverts ces deux êtres sales et monstrueux. En quelques mois, les deux rustres ont précipité la famille à leur perte. Petit à petit, le poison se répand. La mère d’abord, qu’on évince parce que femme, parce que passionnée de botanique, à tel point qu’elle en devient impie. Puis le père, qui finit par choisir la mort, peut-être trop honteux d’avoir ainsi mené sa famille à sa propre perte.
Lucas, lui, est passionné d’entomologie. Alors, il scrute, il admire, il imagine, avec une fascination presque malsaine, les insectes qui peuplent cette terre qui l’entoure, qui s’incrustent auprès des défunts. Il rêve de ceux qui, d’une morsure, pourraient mettre fin au règne de ces deux colons, ces deux nuisibles. La terre se fait le miroir de l’âme de Lucas, peuplée d’âmes aussi fascinantes qu’effrayantes.
Et à mesure que les deux hommes prennent leur marque au sein de la demeure, la luxuriance du jardin se fade. Fleurs et plantes meurent. Alors Lucas crie à l’injustice, à la domination masculine, au dogme de la religion. Il lance un cri d’amour et de dédain à ce père qui n’aura rien su voir, ou rien voulu voir.
« Il y a quelque chose de pourri dans le royaume… » mais il est déjà trop tard.
Les codes du roman gothique sont présents, parfois bien cachés et mêlés à une atmosphère bien particulière qui révèle une auteure au style empreint d’une poésie macabre aussi dérangeante que délicieuse.
« Il y a quelque chose de pourri dans le royaume »
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