Chris5867- 06/05/2022

Une intrigue oignon à éplucher

Elsa Préau est retraitée de l’Éducation Nationale, divorcée depuis longtemps, elle est revenue vivre en région parisienne dans la maison familiale après plusieurs années sur la Côte d’Azur, pour se rapprocher de son fils unique. Elsa n’a pas beaucoup d’occupations à part regarder la TV, jouer un peu de piano, aller à ses rendez-vous médicaux, faire ses courses, et écrire aux élus de tous poils pour leur donner son opinion sur tout. Comme elle s’ennuie un peu, elle regarde ce qui se passe dans le jardin de ses voisins et elle remarque un enfant malingre, qui sort quelques heures dans le jardin chaque dimanche, pour jouer avec des cailloux. Ses voisins ont deux enfants scolarisés, apparemment en bonne santé, alors qui est ce gamin maigre, pâle et taciturne ? Obsédée par cet enfant, Elsa est certaine qu’il est l’objet de maltraitance et qu’elle seule peut lui venir en aide. Elle voudrait bien en convaincre qui de droit, la police, les services sociaux, mais personne ne donne réellement foi à cette vieille dame. Il faut dire que cet enfant n’existe pas légalement, que personne ne l’a jamais vu et surtout qu’Elsa a par ailleurs une attitude étrange qui laisse peu de doute sur le fait qu’elle perd la tête. « L’Enfant aux cailloux » est un roman-oignon. C’est l’impression que l’on a à force de dévorer l’un après l’autre les courts chapitres du livre. Au détour d’une phrase, d’un mot parfois, on a l’impression d’enlever une pelure, et on sent bien qu’au centre de l’oignon, il y a une vérité complexe, protéiforme et assez éloignée de l’idée que l’on se fait d’emblée du personnage d’Elsa. Il faut dire que pendant les 3/4 du roman, c’est elle la narratrice, on est dans sa tête, on voit avec ses yeux et on sent bien que quelque chose cloche chez elle. Elle commet des lapsus étranges, elle entend des bruits de souris alors qu’il n’y a rien, elle développe une haine irrationnelle des chats, elle refuse d’ouvrir les volets du deuxième étage pour que le grutier du chantier voisin ne l’espionne pas, en bref, elle semble présenter tous les signe d’une démence sénile. Alors ce gamin qu’elle ne voit que quelques heures par semaine, et que personne d’autre n’évoque jamais, pas même les deux autres jeunes enfants de la famille, il y a 9 chances sur 10 pour qu’il soit comme les souris, c’est-à-dire imaginaire, c’est-à-dire la métaphore d’autre chose. Plus le voile se déchire, plus la personnalité d’Elsa se fait jour, moins il y a de doute, cette femme est dérangée et peut-être même dangereuse pour ses voisins. Et puis le dernier quart rebat toutes les cartes et quand on découvre le cœur de l’oignon, on se rend compte que tout est tellement moins binaire, moins simpliste qu’on ne l’imaginait. Le roman de Sophie Loubière est diaboliquement efficace de ce point de vue, et rudement addictif aussi. Il ne se lit pas, il se dévore ! Et puis, mine de rien, ce roman noir est l’occasion d’évoquer, et de faire réfléchir sur des questions complexes comme la responsabilité pénale et l’abolition du discernement, ce sont des questions douloureuses, et pleines d’affect sur lesquelles le roman met le doigt et appuie avec une certaine force. Le style de Sophie Loubière, fluide, très accessible, non exempte d’humour malgré la lourdeur du sujet, est très agréable à lire. « L’enfant aux cailloux » se lit vite et avec un vrai plaisir, c’est un roman noir malin, jamais avare de surprise et même si le sujet abordé n’est pas nouveau (difficile de ne pas penser à « La Femme à la Fenêtre » par exemple), il n’est demeure pas moins efficace. Chaque lecteur se sentira concerné par cette femme percluse de solitude, cernée par la perte de ses facultés mentales et persuadée d’être le seul espoir d’un enfant en souffrance. « L’enfant aux cailloux », roman noir hautement recommandable, donne très envie de découvrir d’autres romans de Sophie Loubière, une auteure qui nous offre décidément bonnes surprises sur bonnes surprises !