La fable moderne et horrifique de l’auteur allemand Timur Vermes est un pari fou et ô combien risqué, et c’est peu dire que son livre a fait énormément parler, notamment en Allemagne. A la lecture, on comprend vite pourquoi la polémique a été si vive. Le pitch est à la fois simple et terrifiant : Adolf Hitler se réveille sur un terrain vague de Berlin le 30 avril 2011, son uniforme sent l’essence et il a mal à la tête mais il est bien là, vivant. Très vite, il comprend que son Reich qui devait durer mille ans a bien changé : gouverné par une femme, cosmopolite, américanisée, le Berlin où il se trouve l’étonne autant qu’elle le révulse. Très vite, le quiproquo s’installe, alors qu’il claironne qui il est, tout le monde le prends pour un comédien type « actor studio » qui habite son rôle 24h24. Pire, piégé par l’ambigüité de la situation (autant que par son impossibilité), on le prend très vite pour un comique qui cherche à combattre le Mal par le second degré. Hitler, intelligent et intuitif, comprends vite qu’il lui faut rester ambigu sur le sujet. Lorsqu’une chaine de TV lui propose un show, il accepte et devient (de façon totalement surréaliste) populaire. Tout le monde le prend pour un champion de l’humour noir et corrosif alors que lui distille son discours sans états d’âme : le ver est dans le fruit. Le livre de Vermes est réussi dans le sens où il est dérangeant dans la forme comme dans le fond. Dans la forme d’abord, en faisant d’Hitler son narrateur, il crée entre ce personnage honnis et le lecteur une proximité qui devient vite problématique. D’autant plus que Vermes lui attribue un certain bon sens, lui fait dire quelques vérités bien senties et lui octroie même un humour certes léger et discret mais quand même... Heureusement que l’auteur n’édulcore a aucun moment l’idéologie nauséabonde de son « héros », dans chaque paragraphe ou presque la perversion de cette idéologie mortifère est présente, de ce point de vue, il n’y a pas d’ambiguïté possible. Le contraire aurait été un suicide littéraire ! Le style est agréable, les chapitres brefs, on oscille souvent entre plusieurs sentiments à la lecture : c’est parfois drôle, ironique, révoltant, consternant : c’est une lecture qui ne laisse pas indifférent, c’est sur. Sur le fond, Vermes fait évoluer son personnage dans une Allemagne à laquelle on a quand même bien du mal à croire. La facilité avec laquelle le personnage d’Hitler se promène dans les rues de Berlin, la popularité de son émission, les saluts nazis que lui font ses admirateurs « pour rigoler », tout cela sonne quand même un peu faux quand on sait le travail de mémoire qu’à fait le peuple allemand sur cette période abominable de son histoire. Même si la TV d’aujourd’hui y est décrite comme elle le mérite, c'est-à-dire sans concessions, je ne crois pas qu’une chaine de TV oserait jamais faire d’un acteur grimé en Hitler le héros de ses programmes, même en pariant sur « le côté corrosif de son humour de second degré ». Je comprends que le roman n’ait pas plu à tout le monde en Allemagne, je le comprends très bien. Reste que la trame narrative est maline, quand on connait un peu l’histoire du nazisme dans les années 30 et la conquête du pouvoir par la croix gammée, on sent que Vermes cherche à démontrer l’adage : « Mêmes causes, même méthodes = même conséquences », c’est peut-être fait maladroitement, mais sa démonstration reste, avec quelques réserves et une fin abrupte et un peu étrange, assez pertinente.
La bête est de retour
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