L’image de Saint-François d’Assise qui arpente les campagnes et nourrit des oiseaux, dans un état de dénuement total, est classique et souvent représentative du pauvre au moyen âge. Cette vie de misère est cependant loin d’être celle de la majorité des pauvres de l’époque médiévale, pour la bonne et simple raison que François d’Assise et les Franciscains après lui, ont fait vœux de pauvreté et que, volontairement, ils mendient, pour vivre une vie conforme à celle du Christ. De ces « pauvres volontaires », on ne se méfie pas et on donne, car leur faire aumône était gage de salut pour leur bienfaiteur.
Qu’en est-il des autres pauvres de cette période, dont le nombre ne fait qu’augmenter au fil du temps et des terribles fléaux (peste, guerres, disettes...) qui touchent le Moyen-âge ? Répondre à cette question est ardue pour l’historien qui ne dispose que de très peu de sources. Mais quand l’historien dispose de compétences en linguistique, tout devient possible. C’est le cas de Jean-Louis Roch, maitre de conférences honoraire en histoire à l’université de Rouen.
Par un décryptage fin et poussé de textes littéraires, pièces de théâtre, bréviaires, poèmes, chants…, il reconstitue la manière dont on nommait, considérait, traitait et vivait la pauvreté à une époque où tout l’ordre social, toute sa hiérarchie, était vue comme une immuable création divine, un certain ordre normal des choses. Mais si le pauvre est aussi une création de dieu, alors il doit être pris en considération sous peine, pour le riche, de subir le châtiment divin. C’est toute cette relation ambiguë entre ceux qui n’ont rien et ceux qui possèdent tout et la place du miséreux dans la société médiévale que met en lumière le chercheur.
Doit-on accepter dans les villes ces « gueux » qui peuplent les rues et dont l’allure peut faire peur ou repousser ? Comment distinguer celui qui est réellement pauvre, de celui qui « truande » pour profiter de la solidarité des gens afin de rester oisif ? Comment les pouvoirs publics ou religieux gèrent-ils ce problème croissant ? Que ressent le pauvre et celui qui le côtoie ?
Le cœur de l’ouvrage, et son principal intérêt, réside dans l’étude linguistique et étymologique que fait Jean-Louis Roche des mots et expressions utilisés pour définir ou qualifier la pauvreté au moyen âge. Le champ lexical de la misère, en français et dans certaines langues régionales, est décortiqué avec minutie. L’origine des mots et leur sens primitif sont mis à jour. On ressort souvent étonné par l’évolution de la langue française corrélée à celle de la considération et la représentation que l’on avait des pauvres. Prenons pour simples exemples parmi tant d’autres les termes de « Méchants », « malheureux » ou « truands », dont le sens, pas forcément négatif à l’origine, s’est énormément transformé, pour prendre celui qu’il a aujourd’hui.
Bien qu’appartenant à la collection « Histoire » des Belles Lettres, le livre intéressera tout aussi bien les passionnés de langue française, ceux du moyen âge et tout autre lecteur curieux. Mais tous y verront à coup sûr des réminiscences dans la société d’aujourd’hui.
Étude littéraire passionnante
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