Julien.Leclerc- 27/10/2021

L'imperceptible puissance des souvenirs

Dès les premières lignes du roman de Clara Ysé, on sait que la narratrice, Nine, parlera de son enfance joyeuse perdue, de cet incendie terrible et destructeur et de la confrontation avec une réalité ayant perdue toute poésie. Nine grandit tout au long du roman et nous raconte toute l’évolution qu’elle connaît et perçoit. Les sens sont au cœur de la construction des personnages. Par la vue, par l’ouïe et l’odorat, les deux enfants captent toutes les nuances du monde, tant dans la présence des êtres que dans leur absence. Nine et Gaspard grandissent entre la disparition de l’Amazone et la présence invasive du Lord, sans oublier la pie qui apprend le langage des oiseaux. On évolue ainsi dans les multiples strates de ce monde. Chaque journée est teintée d’une part de magie que Clara Ysé décrit subtilement. Elle intègre les croyances et les espoirs de ses personnages, cette part de mystère à laquelle ils se rattachent. On n’est jamais perdu car le socle de l’histoire reste la réalité, celle qu’il faut voir, comprendre et digérer. Par le recours à une certaine fantaisie, indispensable à la survie de Nine et Gaspard, l’autrice dépeint la force de l’enfance face au drame en usant des armes de l’imaginaire et du cœur. Ces deux êtres gardent en eux un feu intense. C’est beau de les voir grandir et avancer maladroitement sur le mince fil tendu de leur vie. Ils sont entre le mouvement et la tragédie. On reste près de ces enfants devenus adolescents qui, à l’image de Nine, commence à tisser d’autres liens avec ceux de son âge. Elle découvre alors une réalité faite de silence et d’écoute de soi. Si les premiers chapitres sont marqués par la présence des hommes, guides de la narratrice, progressivement arrivent des femmes laissant une place plus importante à Nine. Elle peut s’exprimer, mettre en mots sa perception du monde et s’épanouir en libérant ses désirs, ses joies et ses larmes. La bulle familiale composée autour de l’incendie et de la violence de Lord s’ouvre à des élans joyeux, faits de musique et d’autres paysages. La musique ressemble à un fil d’ariane entre l’Amazone et Nine, comparable à ces mystérieuses lettres que la disparue envoie régulièrement. La musique réconforte tout en apportant son lot de mélancolie. Le roman se déploie à travers de nombreuses émotions, fortes et subtiles. Clara Ysé dessine la narratrice comme un être balayé par tous les soubresauts d’une écoute de soi, d’une introspection nécessaire et libératrice. En usant de la force de l’imaginaire et de l’imperceptible puissance de la sensibilité au monde, se plaçant à bonne distance du conte initiatique calibré et du réalisme pesant, Clara Ysé construit une histoire intense dont le contours flous laissent se disperser un léger trouble, celui du doute face à soir et aux autres.