SudOuest- 25/02/2021

Les médias à la croisée des chemins

L’économiste Jacques Attali plonge dans l’histoire des médias, des signaux de fumée jusqu’aux réseaux sociaux. Pour mieux comprendre les enjeux à venir pour notre démocratie. Résumer 5 000 ans d’histoire de médias en 500 pages. Des premiers journaux, jusqu’à Twitter, Tik Tok et Facebook, en passant par la télé et la radio. C’est ce qu’a tenté de faire l’économiste et prolixe écrivain Jacques Attali, dans son dernier livre. Une manière aussi pour lui de démontrer aux lecteurs combien information et pouvoir ont toujours été intimement liés. “Depuis toujours, l’homme a besoin de savoir ce qui le menace, ce qui nuit aux autres ou les sert. Et pendant longtemps, seule une poignée de puissants, souverains, religieux, marchands, ont eu le monopole de l’information”, explique celui qui a murmuré à l’oreille de nombreux présidents de la République depuis François Mitterand. À l’origine, les “avvisi” C’est, au XVe siècle l’invention de l’imprimerie qui changera la donne et permettra progressivement au plus grand nombre d’accéder à la presse. À mesure que l’alphabétisation des citoyens progresse. Dans cet ouvrage, ce conseiller de l’ombre du politique rappelle également que les lettres confidentielles, les “avvisi”, vendues à l’époque par les marchands vénitiens à leurs abonnés en Europe, sont à l’origine des médias modernes “libres”. Des nouvelles rédigées par des écrivains spécialisés, payés par ces marchands, qui préfigurent le travail des journalistes. Mais pourquoi s’intéresse-t-il maintenant aux médias ? Parce qu’à ses yeux, ils sont à la croisée des chemins. Aujourd’hui, nos concitoyens sont abreuvés quotidiennement par un déluge d’informations irrigué par les réseaux sociaux, mais les fake news prolifèrent et peu de gens sont prêts à payer pour s’informer. Des médias d’autant plus fragilisés économiquement, qu’ils sont tenaillés par les Gafam (Google, Facebook...) qui leur offrent une visibilité mondiale unique, mais se gardent l’essentiel des revenus en découlant. Remplacés par des robots ? Dans ce contexte, Jacques Attali estime que les journaux “papier” vont se raréfier en 2030. Hormis des titres dédiés à des publics particuliers. À l’inverse, les “avvisi” numériques, c’est-à-dire des lettres confidentielles digitales payantes, réservées à des clients pour les aider à prendre des décisions financières et politiques, vont se multiplier. Plus inquiétant, il pense qu’à terme des hologrammes remplaceront les journalistes par des robots. Est-ce irrémédiable ? Pour l’éviter, Jacques Attali multiplie les propositions : démanteler Gafam, les empêcher de s’approprier nos données personnelles en échange d’un accès payant à des services réduits, contrôler les réseaux sociaux, apprendre aux enfants l’art de s’informer et de démêler le vrai du faux. Des voeux qui peuvent sembler pieux. Mais “nous avons plus que jamais besoin de journalistes, pour analyser les choses, dire le vrai, repérer les fausses nouvelles, confronter des points de vue contradictoires”, insiste-t-il. La cohésion sociale et la solidité de notre démocratie en dépendent.