SudOuest- 09/03/2021

Le lent et merveilleux suicide de Leo Gazzara

Paru en 1973 et resté inédit en France, le premier roman de Gianfranco Calligarich est enfin traduit. “Le Dernier Été en ville” suit à Rome un homme mélancolique dans sa quête vaine de sens. Un chef-d’oeuvre. Bien que la France soit l’un des pays au monde à se montrer depuis des années le plus remarquablement prolixe en matière de traductions, il n’en demeure pas moins que parfois, de loin en loin, certains mystères intriguent. Ainsi de la sortie ces jours-ci du premier roman de l’écrivain, journaliste et scénariste italien, Gianfranco Calligarich, “Le Dernier Été en ville”. Comment se fait-il que le lecteur français ait dû attendre quarante-sept ans après sa première publication dans son pays, pour découvrir ce texte sublime, inouï de la beauté languide et triste à la fois ? Quoi qu’il en soit, joie non dissimulée tout de même que de telles pépites puissent de temps en temps passer au travers du tamis de l’édition pour nous être rendues dans tout l’éclat de leur jeunesse. Apparitions et disparitions Un éclat sombre et profond, pour tout dire. Rome, fin des années 1960. Leo Gazzara, Milanais d’origine s’est laissé prendre par les charmes crépusculaires de la cité aux sept collines. À peine 30 ans et déjà revenu de tout (surtout ce qu’il n’a pas vécu), fin lettré (Conrad, Pavese, Fitzgerald, Nabokov, Durell et on en passe...), grand buveur, noceur invétéré qui promène avec grâce son ennui partout où il est convié, il y vit d’expédients journalistiques, se partageant entre hôtels modestes et appartements prêtés par de généreux amis (comme l’antique Alfa Romeo qui le guide dans ses errances en ville ou pour de plus rares escapades vers les plages). Un jour d’hiver, une nuit plutôt, lors d’une de ces soirées où il échoue sans vraiment savoir pourquoi, il rencontre Arianna. Elle est belle, riche, folle, insolente, libre ou croit l’être, spécialiste en tout cas du contre-pied amoureux. Bien sûr, il part avec elle et pendant quelques semaines, quelques mois, ponctués d’apparitions et de disparitions, ne saura ni comment la prendre (à tous les sens du terme...) ni comment s’en dépendre. Un an et un chagrin plus tard, tout sera consumé. Presque impressionniste Personnage perdu dans la brume de sa quête vaine de sens, de son infinie mélancolie, Leo est le frère en fiction d’autres héros, mais du grand écran. Le Marcello de “La Dolce Vita” évidemment, le Delon du “professeur” de Zurlini et surtout, le Maurice Ronet de l’adaptation “Feu Follet”par Louis Malle. Comme tous ceux-là, il trimballe une difficulté radicale à vivre. Avec l’époque, avec les autres et avec lui-même. Calligarich, en un style à la fois simple et presque impressionniste, nous la rend sensible, comme celle de tous ceux qui l’entourent. Comme celle de Rome, à jamais perdue, à jamais à la croisée des chemins. Il va au terme de son projet romanesque avec une maestria confondante, une grâce fragile qui, près d’un demi-siècle plus tard, n’a pas pris une ride. Vous avez dit chef-d’oeuvre ? N’ayons pas peur des mots.