Chris5867- 14/06/2022

A la poursuite de l’IA

Ada a disparu, elle était employée par la société Turing domiciliée dans la Silicone Valley et elle s’est évaporée en pleine nuit, sans laisser de trace : s’est-elle enfuie, a-t-elle été enlevée, rien ne permet de le savoir, sa disparition est un mystère. Le policier Franck Logan est chargé d’enquêter. Sauf qu’Ada n’est pas une personne, Ada est une AI, un programme informatique d’Intelligence Artificielle programmée pour écrire des romans à l’eau de rose. Ada n’était pas connectée à la toile et pourtant elle n’est plus là, dans les circuits de Turing, comment est-ce arrivé, où est-elle et surtout, qu’est elle capable de faire maintenant qu’elle est « dans le monde » ? Le roman de français Antoine Bello est étrangement fascinant, et je trouve que « Ada » est une formidable porte d’entrée pour comprendre les tenants et les aboutissants éthiques des questions sur l’Intelligence Artificielle. Rien de mieux qu’une fiction bien troussée pour comprendre des choses complexes, et ici, Bello fait mouche. Très vite, le très terre-à- terre Franck Logan (même un petit peu réac sur les bords, ou en tout cas un petit trop passéiste à mon gout) comprend qu’Ada, lâchée dans la nature, est capable de faire des choses assez incroyables, et aux conséquences super angoissantes. Posé dans la position du candide, comme le lecteur du reste, Franck découvre une AI programmée pour écrire un roman à l’eau de rose qui se vendra à au moins 100 000 exemplaires. Pour se faire, on lui a fait lire des milliers de romans Harlequins qu’elle a analysé en profondeur, on lui a ajouté un dictionnaire d’argot et quelques romans historiques pour lui donner de la « matière » et c’est armé de ce bagage seulement qu’Ada s’est construite une « personnalité ». Inutile de dire que ce personnage, car s’est un personnage a part entière, à une personnalité très bizarre et des prises de positions et des réflexions super décalées ! Bourré d’humour grâce à un AI qui pense et parle sans aucun filtre, le roman d’Antoine Bello manipule des notions qu’il connait bien et qu’il a déjà exploré dans sa trilogie « Les Falsificateurs - les Eclaireurs - les Producteurs », les notions de manipulation des masses et de cynisme érigée en mode de fonctionnement. Le livre se lit assez vite, très bien et avec beaucoup de facilité (grâce à l’humour notamment), l’intrigue est prenante et la fin pleine d’une ironie grinçante, pour ne pas dire corrosive. Le petite pirouette de fin, pas forcément utile d’ailleurs, fonctionne pourtant assez bien et vient nous rappeler que les notions d’intelligence, de conscience et de morale ne sont pas forcément soluble dans l’ultra modernité. Assez pessimisme sur le fond, alors qu’il est réjouissant dans la forme, le roman suscite en nous une vraie interrogation sur ce que représente ces trois notions et comment elles s’imbriquent (ou pas) les unes dans les autres. Je recommande assez chaudement « Ada », un roman en apparence léger mais qui pose des questions fortes et essentielles qui ne laisseront absolument personne indifférent.