Woozz- 05/02/2020

À Distance

Février / Lu. Ravissant, multiple. Comme il s'agit de fragments, c'est un peu plus faible parfois ; mais les fulgurances sont là. Le poème qui donne son titre à l'ouvrage, A Distance, est bouleversant. C'est l'aveu du rapport que Michaux avait avec l'autrui, celui qui n'est pas moi, et finalement, avec sa solitude. --- Une fois de plus, venez venez, mots misérables pour exprimer plus misérable encore pour exprimer le tombé, le dévasté, le méconnaissable le trois fois plus redoutable qui dans l'ombre se prépare Pour exprimer les monts de honte subitement surgis barrant les horizons la cage partout, pour exprimer Judas, pour exprimer Judas multiplié, Judas tient compagnie les deniers n'ont pas longtemps à courir après les judas Pour exprimer les feuilles tombent les fronts craquent les gares s'éteignent, les chemins tarissent l'hiver à coups de lanière frappe le grand troupeau Pour exprimer bras, estomacs, jugements dans l'étau et millions par millions d'hommes entiers dans l'étau et millions et millions rongés dans la plaie de la plaie, de la plaie de la chute ou cloués, silencieux, contemplant les reins cassés de leur avenir Contemplant surtout la Statue haute, qui, à la défaite des siens sur son socle s'est effondrée ses débris font mal. Ses débris torturent. On est poursuivi de ses débris. La nuit vient. Les échos s'éloignent. Le froid grandit. Un grand corps à griffes, de tout son pesant, sur soi est étendu. --- DANS L'ULTIME MOMENT Le froid est en moi, vous qui criez près de moi Je quitte la maison aux mille gammes Dans mes nerfs sans graisse le chariot de vos bruits fonce méchamment Défaite, défaite, étrange affaire En pleine journée, je m'étends, arbre abattu Le tigre ne vit pas plus vieux que le cerf mais le tigre arrive toujours à temps pour tuer le cerf Par erreur le couteau d'un irrité est entré dans la poitrine mienne mais c'est toujours une ombre qui chasse une ombre, pour rejoindre les ombres Ne t'agite pas, mon être, ne te lamente pas, ne me brise pas Souvenons-nous de nous retenir Dans l'amitié du silence enfonçons seuls dans la nuit immense.