Fannyprune- 03/11/2024

Amok

« - Savez-vous ce qu’est l’amok ? - L'amok ?... Je crois me rappeler... une sorte d'ivresse, chez les Malais... - C'est plus que de l'ivresse... c'est une folie furieuse, une sorte de rage canine, mais humaine... un accès de monomanie meurtrière et insensée, qui ne peut se comparer à aucune autre intoxication alcoolique... » Dans cette nouvelle, le narrateur, fuyant la cohue de son transatlantique et l’inconfort de sa cabine, rencontre en pleine nuit sur le pont du cargo un médecin rongé par la solitude et le remord, qui lui fait le troublant récit de sa disgrâce. Ce médecin, sollicité par la froide, calculatrice et obstinée épouse d’un riche marchand parti pour plusieurs mois, afin de l’aider à avorter, est brusquement saisi par l’amok. Il n’a alors plus qu’une idée en tête : la posséder, la faire supplier, la faire plier, et pour parvenir à ses fins, se couvre de ridicule et s’enfonce dans des attitudes toutes plus absurdes et terrifiantes. Encore une magnifique réussite de Zweig, qui est toujours aussi agréable à lire : une plume sans fioriture et qui va droit au but, mais soutenue et agréable. Zweig sait, en très peu de pages, dépeindre la profondeur des déviances humaines et des abîmes émotionnels souvent tabous car au-delà de la morale. Ce roman ne diffère pas en ce sens du Joueur d’échecs, ou de Vingt-quatre heures de la vie d’une femme : qu’il s’agisse du rapport au jeu, à l’argent, au sexe, à la possession, le propos de Zweig semble être que personne n’est à l’abri de sombrer un jour dans ce qui est socialement réprouvé. L’amok en est la plus juste illustration, le plus brave des hommes - un médecin fidèle à son devoir - pouvant être frappé de folie simplement parce que les circonstances s’y prêtent. (Petite précision qui peut être importante pour ceux ou celles qui hésitent à se lancer, par peur d’une œuvre trop versée dans le sexisme et qui en deviendrait difficile à lire pour les plus sensibles à ce sujet : c’était ma crainte à l’origine, mais il n’en est rien ! Le vice du médecin est admis par celui-ci, son désir de « possession » reste plutôt soft et rapidement évoqué, et (attention, spoiler !!!) il n’y a aucune scène où le consentement de la femme est forcé.)