Le portrait mélancolique de la génération 1848

Frédéric de Flaubert est tout le contraire du héros d'un Maupassant ou d'un Stendhal. Si Georges Duroy conquiert les femmes, c'est pour mieux gravir les échelons de la société. Si Julien Sorel s'amourache de Mme de Rênal et de Mathilde, c'est pour mieux combattre sa situation d'homme du peuple et atteindre son idéal bonapartiste. Ici, c'est l'aveu doucereux de l'échec, au travers de Charles Deslauriers et Frédéric Moreau. Le premier ne fera jamais une grande carrière, l'autre ne consommera jamais l'amour de Marie Arnoux. C'est une débauche d'actes manqués, d'espoirs étouffés et de vies presque gâchées. Le provincial plein d'ambitions du début nous consterne par sa passivité. Au contraire de Madame de Bovary, dont la prétention à une vie rêvée la guide jusqu'à l'extrême, L'éducation sentimentale nous plonge dans l'expectative, et se moque du succès. La réplique de la dernière page résume ce roman : Frédéric et Deslauriers ont rêvé de leurs vies, mais n'en ont finalement rien fait. Ce qu'ils ont vécu de meilleur, c'est leur jeunesse et ils ont ensuite raté quelque chose de leur destin. C'est un écho prodigieux à cette époque où les promesses de la Révolution aspiraient à beaucoup avant de se mouvoir mollement dans le Second Empire. Quelques passages sont parfois un peu lents, mais s'inscrivent dans ce sentiment d'un songe permanent. Du voyage en bateau sur la Seine qui navigue dans la brume, de la soirée libertine de la Maréchale dans l'ivresse ou encore de la visite de la manufacture de Creil sous la morgue de Sénécal, L'éducation sentimentale est l'histoire morale d'une génération perdue.