Sonneur- 21/05/2022

L'ego pensant

Peut-être que la tentation du clivage entre l'esprit et le corps est commune à tous. Ce texte à l'incipit célèbre est dans la liste des écrits lus et relus : cette fois-ci m'y apparaît la sensualité de l'écriture poétique de Valery, qu'on n'attendait pas forcément dans ce livre dédié au solipsisme intellectuel. Si la bêtise n'est pas son fort, il a oublié d'être seulement un pur esprit pour être aussi un poète. Un poète intelligent. On sent bien que Valery se confond avec son narrateur, mais aussi qu'il s'identifie avec Monsieur Teste, sa création miroir, l'un des personnages les plus étonnants de la littérature du XXème siècle. Quand Valéry écrit : "Nous approchions de la nuée. Des noms s'illuminaient. Le ciel s'emplissait de météores politiques et littéraires. Les surprises crépitaient. Les doux bêlaient, les aigres miaulaient, les gras mugissaient, les maigres rugissaient. Les partis, les écoles,les salons, les cafés, tout se faisait entendre. On était assourdi par le cliquetis d'un duel dont les épées étaient des éclairs, et bien des pauvretés se propageaient jusqu'aux extrémités du monde avec la vitesse de la lumière.", on a l'impression qu'il parle, dans son style parfait, de notre monde contemporain. Je complète cette relecture par la lecture du "Paul Valéry" de Hubert Fabureau (1905-1951), un livre datant de 1937 trouvé chez un libraire d'ouvrages anciens, que je déguste comme on apprécie un vieux film en noir et blanc : l'auteur, un oublié qui n'a même pas les honneurs d'une page Wikipedia ni ceux de la base de données bibliographiques Electre, y développe une lecture instructive et détaillée du "Monsieur Teste" de Paul Valéry, une critique formidablement bien écrite avec en prime une page étonnante de pastiche de Huysmans...