Chris5867- 11/10/2022

L’aventure grecque de Bernie

Munich, 1957, désormais sous le nom d’emprunt de Christoph Ganz, Bernie Gunther accepte le travail que lui propose un ancien ami de l’époque de la Kripo : devenir expert enquêteur pour une compagnie d’assurance. Enquêter il sait faire, et en plus le job est bien payé et lui permet de voyager. Il est rapidement envoyé à Athènes pour faire la lumière sur le naufrage d’un bateau en Mer Égée, un bateau recherchant des antiquités. Lui qui pensait s’offrir un séjour tranquille au soleil de la Grèce se retrouve encore une fois sur la route d’un dignitaire nazi en fuite, et met à jour bien autre chose que des antiquités. Les cicatrices de la Guerre et de ses atrocités sont loin d’être refermées, en Grèce comme ailleurs. C’est un plaisir de retrouver Bernard Gunther, même si l’aventure se termine bientôt. Décédé en 2018, Philip Kerr n’a sûrement pas eu le temps de sceller le destin de son héros tragique. Toujours condamné à la fuite depuis la fin de la Guerre, en raison de son incorporation de force dans la SS, il a enfin réussi à remettre le pied en Allemagne, même s’il est loin de son Berlin chéri coupé en deux. Il est d’ailleurs ironique et injuste qu’il soit condamné à vivre sous un nom d’emprunt alors que, Philip Kerr l’affirme tout au long du roman, des SS bien moins fréquentables que lui ont désormais pignon sur rue dans le nouveau gouvernement ouest-allemand. Vieillissant mais toujours fidèle à lui- même, adepte des jolies femmes et de l’humour, victime de son propre sens moral, Gunther finit toujours par se retrouver petit a, que la route d’une très jolie femme et petit b, au bout du canon d’une arme ! Dans chaque roman de la saga ou presque, il aura croisé la route d’un grand dignitaire nazi, ici, il s’agit d’Alois Brunner, de funeste mémoire. Sans trop en dire, nous sommes en 1957 dans un pays qui a connu l’occupation nazie et qui semble avoir encore beaucoup de cicatrices mal refermées. Mais nous sommes aussi en 1957, année de la signature du traité de Rome, et cette nouvelle aire européenne qui s’annonce, prometteuse pour l’Allemagne (de l’Ouest) et qui fait également très envie à la Grèce : le devoir de mémoire et la realpolitik de la Guerre Froide se télescopent, et Gunther n’est pas très à l’aise avec cette ambivalence. Agréable à lire, assez clair (même si comme d’habitude, la multiplicité des personnages peut dérouter), très instructif aussi, le roman de Philip Kerr se permet d’ouvrir une perspective intéressante pour Gunther, perspective qui a malheureusement toutes les chances de s’avérer sans lendemain. Ce que j’aime dans cette série, au-delà de l’affection que le héros suscite (en dépit de son cynisme, sa pointe de misogynie et sa haine des Français), c’est qu’il m’aura fait voyager dans toutes les pays concernés par la Seconde Guerre Mondiale, comme la Bohême-Moravie, la Croatie, l’Ukraine ou ici, la Grèce. Nous connaissons bien l’Histoire de la France occupée mais beaucoup moins les autres théâtres d’opération. Avec Gunther, Philip Kerr nous aura emmené à travers l’Europe et l’Amérique Latine prendre une petite leçon d’histoire contemporaine. C’est un des aspects de la saga qui m’aura le plus intéressé, et c’est un de ses atouts en plus de tous les autres.