L'ours inculte- 28/05/2024

Les derniers maîtres de la glace

Je vous ai déjà parlé ici du SPFBO, le Self-Published Fantasy Blog-Off qui joue à Battle Royale entre 300 bouquins de fantasy auto-publiés. Le classement de cette aimable compétition est un moyen sûr de gonfler sa PAL VO chaque année, et The Sword of Kaigen de M. L. Wang a remporté l’édition 2019, c’est plutôt bon signe ça. La famille Matsuda est un des clans les plus puissants de Kaigen, formés très jeunes au maniement du sabre, au prix d’une discipline stricte, ils perfectionnent également le pouvoir du Jiya qui consiste à manipuler l’eau et la glace. Isolés sur une montagne aux limites de l’empire, les Matsuda se dévouent à l’empereur et vouent leur vie à la défense de celui-ci contre tout envahisseur. Mamoru, l’ainé des enfants de la famille, présente déjà des aptitudes hors du commun à 14 ans, mais l’arrivée d’un étranger dans son école va lui ouvrir les yeux sur certaines idées qui sont les bases de son éducation dévouée. Misaki, la mère de Mamoru, a laissé son passé de combattante pour se dévouer à sa famille dans l’humilité que préconise la place des femmes dans le clan Matsuda. Devant les doutes de son enfant, le dédain de son mari et la menace qui semble venir de l’étranger, ses vieilles habitudes commencent à remonter à la surface. L’univers de The Sword of Kaigen fait partie de la saga A theonite war qui compte déjà deux autres romans, mais celui-ci est une histoire indépendante qui peut très bien servir de porte d’entrée dans la série. On y découvre un empire très fortement inspiré du Japon traditionnel, mais on est pourtant pas dans une période féodale. On a toujours un empire, et la famille Matsuda vit selon des traditions ancestrales mais on apprend vite que le monde moderne est bien présent dehors, il a juste du mal à atteindre leur petite île. Les valeurs du clan Matsuda tournent autour de l’honneur, les hommes apprennent à combattre et sont prêt à se sacrifier pour défendre l’empire. Ces guerriers sont extrêmement puissants, leur maîtrise du combat et de leur magie leur permet de faire face à des armées entière, et donnent lieu a des scènes d’action mémorables. On a une ambiance et un système de magie élémentaire qui rappellent Avatar : Le dernier maitre de l’air, influence assumée mais comme je suis inculte j’ai pas encore regardé l’animé (j’ai vu que le film et je l’ai aimé, jetez-moi des coings). Le jiya des Matsuda donne lieu a des déchainements de pouvoirs variés et impressionnants, du bouclier de glace à la pluie de pics, de la lame magique à l’aiguille subtile, l’autrice exploite tout ce qui lui passe par la tête quand on pense à ce que peut faire la manipulation de la glace. Mais évidemment ce n’est pas la seule magie à l’œuvre, les Matsuda sont des Jijaka mais on retrouve des Tajaka (le feu), des Fonyaka (le vent), des Littigi (la lumière), etc… Le roman va explorer les thèmes du devoir et de l’honneur, mais va surtout y opposer la propagande d’état quand on découvre avec Mamoru les différences entre l’histoire politique de Duna et ce qu’il a appris par son éducation, la version « officielle » de l’empereur. Quand il sera confronté à la guerre qui arrive pour la première fois de sa vie, ses certitudes et ce qu’il tient pour sacré vont voler en éclat. Cette aspect de la propagande qui conditionne le dévouement des guerriers les plus puissants est vraiment bien tourné parce qu’il repose sur ses excellents personnages qui ont chacun une approche différente. Mamoru est le jeune surdoué dévoué à sa formation, qui a bien appris ses leçons. Il est évidemment assez idéaliste et se fond complètement dans l’idéologie inculquée par son père et son oncle, les chefs du clan. Ces deux-là sont des adultes élevés dans le même moule, avec le sens de l’honneur et du sacrifice comme moteur, et qui on voué leur vie au perfectionnement de leur art martial au service de l’empereur. Pourtant on s’aperçoit plus ou moins vite que derrière cette rigidité se cache un passé lourd aussi pour eux. Ceux qui pourraient apparaitre comme des bourrins lobotomisés ressortent finalement très humains également. Et enfin, le clou du spectacle c’est Misaki qui a tout de la femme docile et effacée, écrasée par le sexisme de cette famille traditionnelle. Mais quand la guerre frappe à la porte, son passé de combattante qui a vécu dans des environnements plus égalitaires va la pousser à réagir. Et c’est là que ça devient spectaculaire. Le point de vue de Misaki va prendre de l’importance assez vite aux côtés de son fils aîné, son évolution est extrêmement bien amenée par M.L. Wang qui nous dresse le portrait d’une « epic maman » forte sans tomber dans le panneau de la guerrière bourrine qui veut rivaliser avec les monsieur. Cette famille étendue (puisqu’on a aussi des familles vassales et plusieurs villages qui vivent autour du clan) va affronter la guerre et le mensonge dans ce livre vraiment époustouflant. On notera aussi une particularité dans la structure du roman puisque le climax épique badaboum ne se situe pas à la fin, comme la plupart des romans de fantasy guerriers, mais à peu près au milieu. Ce choix fait qu’on a un gros pic épique en plein milieu mais que, chose rare, on va passer le reste du bouquin à faire face aux conséquences de l’action, au deuil, à la reconstruction, à la politique. Et ça ne perd pourtant pas en intensité dramatique. Et attention aux âmes sensibles, certaines scènes sont assez déchirantes. Cette seconde moitié va aussi nous ouvrir quelques pistes sur le reste de la série (dont The Sword of Kaigen est un prequel) avec quelques ouvertures qui donnent bien envie d’aller voir ce que ça donne par là bas. The Sword of Kaigen est un roman de fantasy épique d’inspiration japonaise qui explore l’honneur, la propagande et surtout la famille. Le roman est une vraie réussite, à la fois épique, émouvant et rudement bien construit. Si vous lisez en anglais, foncez. Et prenez quelques mouchoirs. Trigger warnings : Guerre, Viol, Violence, Deuil, Tu vas pleurer