Chris5867- 27/05/2024

Un King aux petits oignons

En plein été 2021 et en pleine épidémie de COVID, l’agence de détective privé « Finders Keepers » dirigée par Holly Gibney est en mode « pause » lorsqu’elle est contactée par une Pénélope Dahl désespérée : sa fille de 23 ans est introuvable et la police a conclu (très) vite à une disparition volontaire. Pénélope n’y croit pas une seule seconde et Holly accepte la mission, en dépit du fait qu’elle se retrouve totalement seule pour enquêter : son coéquipier Pete à la COVID et ses amis Jérôme et Barbara ne sont pas disponibles. En cherchant Bonnie, Holly va découvrir que la jeune femme n’est pas la seule à s’être volatilisé dans le quartier où on a retrouvé son vélo. Depuis presque 10 ans, plusieurs personnes se sont évaporées aux abords du quartier universitaire, des personnes jeunes que personne ne cherche réellement à retrouver. Holly Gibney est, sauf erreur de ma part, le seul héros récurrent de Stephen King. Découverte dans la formidable série « Mr Mercedes » mise en valeur dans l’enthousiasmant « L’Outsider » puis dans la nouvelle « Si ça saigne », Holly a aujourd’hui droit à un roman qui porte son nom, et quel roman ! Ça faisait quand même longtemps que je n’avais pas lu un roman de King aussi réussi. Ici, pas de surnaturel, pas d’extraterrestre, ni de démons ou de Doppelgänger mais uniquement de l’humain. Je devrais plutôt dire, de l’Inhumanité. « Qui » est à l’origine de la disparition de Bonnie et des autres avant elle ? On le comprend dès les premiers chapitres, l’intérêt n’est pas là. C’est pareil pour le « pourquoi », rapidement on découvre avec horreur pourquoi ces jeunes gens sont enlevés, des gens jeunes, des gens sans attaches, des gens dont la disparition n’émeut pas grand monde… jusqu’à Bonnie. Les chapitres alternent entre l’enquête de Holly, minutieuse comme elle en a l’habitude (ce personnage est ultra attachant, depuis le premier roman elle a fait mouche) racontée sur quelques semaines, dans l’ordre chronologique et d’autres chapitres en flashs back, du côté des ravisseurs, où se succèdent les victimes. Le cœur du roman, le mobile de ces crimes, je n’en dirais rien, juste qu’on touche là au tabou ultime, la dernière transgression, le climax de l’ignominie. King était souvent allé loin en la matière, mais jamais jusque-là ! Passionnante, facile à suivre et parfaitement construite, l’intrigue est une réussite totale. Et puis il y a le contexte dans lequel King pose son roman : Trump a perdu l’élection de 2020 mais ses supporters (et Holly en croise) refuse d’y croire. L’épidémie fait des ravages (bien pire qu’ici e France) mais Holly (vaccinée) rencontre un nombre terrifiant de gens persuadés que le vaccin est pire que la COVID et scoop : ce sont souvent les mêmes ! Dans une Amérique qui n‘est pas confinée mais qui est à la fois fracturée et saignée à blanc, ce à quoi Holly va être confrontée n’est jamais que l’avatar ultime d’un pays qui a perdu la boussole. Car le racisme, l’homophobie, le mépris de classe, tout cela est aussi à l’œuvre dans les crimes sur lesquels enquêtent Holly. Même en allant relativement loin dans l’horreur, King (qui ne cache pas ses opinions tranchées sur les dérives actuelles de son pays) ne dépasse jamais la ligne rouge de la crédibilité. Et cela rajoute encore à la réussite de « Holly », non seulement c’est bien raconté, bien construit et totalement abominable, mais surtout c’est crédible, c’est affreusement crédible ! La fin, avec son lot de suspens, fonctionne là encore à plein. J’ai beau chercher, je ne vois aucun bémol à attribuer à « Holly », à part peut-être que les allusions aux romans précédents où apparaît Holly (voir ci-dessus) sont nombreux et que l’on savoure d’autant mieux ce roman si on les a lu auparavant. On comprend tout mieux quand on connaît ce qu’elle a traversé dans la trilogie « Mr Mercedes » et surtout dans la nouvelle « Si ça Saigne » qui est souvent évoquée. Mais on peut malgré tout lire ce roman seul, c’est juste que ce sera un plaisir un tout petit peu incomplet. Ce King est à dévorer, c’est un met de choix pour les amateurs de l’auteur, bref : un King cinq étoiles !