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Résumé
Le roman libertin est un objet paradoxal: indissociable du siècle des Lumières et de sa séduction raffinée, il apparaît comme le meilleur représentant d'une époque traditionnellement associée à l'art de l'esprit et aux plaisirs du corps. Mais à qui tente de l'aborder de manière synthétique et de l'envisager comme genre, il oppose sans cesse sa diversité: la séduction libertine oscille entre maîtrise de l'implicite et grivoiserie obscène, extrêmement bonne compagnie et courtisanes des faubourgs. Pour surmonter cette hétérogénéité, il faut peut-être réinscrire ces oeuvres dans leur histoire: par le lien qu'il entretien avec les structures politiques et sociales de l'Ancien Régime, le libertinage subit nécessairement les transformations qui affectent l'aristocratie dans la seconde moitié du siècle. Ses personnages, ses intrigues, la langue et les représentations du corps qui le définissaient à l'époque de Crébillon ne peuvent se maintenir à l'identique cinquante ans plus tard. D'autres publics, d'autres catégories sociales, d'autres modes esthétiques prennent une importance croissante à la veille de la Révolution, et forcent les portes des boudoirs jusqu'ici préservés de toute intrusion extérieure: sous la pression d'un modèle social en mutation, et d'une crise politique de plus en plus violente, le récit libertin se transforme, s'ouvre, mais ne disparaît pas. Le paradoxe de cette survie mérite donc d'être interrogé en profondeur: pourquoi l'esthétique libertine, d'essence aristocratique, survit-elle à l'abolition du système qui garantissait ses fondements? Comment réussit-elle à concilier séduction amoureuse et reflet des fermentations contemporaines? Pour répondre à ces questions, c'est une lecture historique qui s'impose: les romans libertins doivent être envisagés, au tournant des Lumières, comme des formes dynamiques. Leur ancrage dans l'Ancien Régime en fait même les miroirs privilégiés du basculement qui s'opère: en 1780, séduire ne s'envisage plus en dehors de l'histoire.