La grande transformation : aux origines politiques et économiques de notre temps

Polanyi se lance dans ce livre dans une entreprise transdisciplinaire mobilisant à la fois histoire, économie et anthropologie. Son but est d’analyser ce qu’il considère être la faillite du marché autorégulateur du 19 et 20ème siècle : l’avènement du fascisme et l’auto-destruction subséquente du monde Occidental, qui était jusque là zélé dans son libéralisme économique («La faiblesse congénitale de la société du 19ème siècle ne vient pas de ce qu’elle était industrielle, mais de ce qu’elle était une société de marché»). L’intérêt de ce travail est qu’il s’inscrit dans une démarche différente du marxisme mais propose tout de même une perspective socialiste : en effet, là où le marxisme propose une philosophie de l’histoire dialectique centrée autour de la possession des moyens de production et met donc l’exploitation par la classe possédante au centre de sa critique du capitalisme, Polanyi admet volontiers l’amélioration économique permise par ce dernier et dirige sa critique vers la désagrégation culturelle qu’il a engendrée. Selon lui, même si les marchés ont toujours existé dans les économies des sociétés humaines, ces derniers n’étaient pas centraux et étaient subordonnés aux institutions culturelles et politiques. Ainsi, au contraire de ce qu’affirme la liturgie libérale, l’idée de tout placer sous l’égide d’un unique marché censé s’auto-réguler n’était ni naturelle théoriquement - le concept d’homo economicus est anthropologiquement erroné, ni en pratique - l’unification des marchés s’est faite artificiellement sous l’impulsion des États. Cette impétueuse et douloureuse mise en place a nécessité la *transformation* totale de la terre, du travail et de la monnaie en marchandises. Pourtant, ces trois éléments sont constitutifs des singularités des institutions humaines, elles-mêmes produits des singularités culturelles des différentes civilisations («Les institutions sont les incarnations d’un sens et d’un projet humains.»). Soumettre partout la terre, le travail et la monnaie aux mêmes lois d’un unique marché autorégulateur mondial a donc mené à un changement historique d’une rare intensité qui a ôté aux peuples leurs idiosyncrasies pour ne laisser que de «larges masses de migrants apathiques». Pour corriger cette tentative utopique de société sans aucune contrainte ni pouvoir et qui ne serait que somme de volontés individuelles («there is no such thing as society» comme dirait Thatcher), l’histoire prit le chemin fasciste, qui prônait l’abandon pur et simple du concept de liberté. Polanyi nous propose plutôt un chemin social-démocrate qui préserverait l’héritage du libéralisme politique (la démocratie, le droit à la non-conformité, à l’autodétermination, etc.) tout en étant post-capitaliste (les marchés existeront toujours, mais la société ne pourra pas être exclusivement fondée sur eux).

À relire

Théorie intéressante mais lecture un peu trop compliquée, je n’ai pas forcément le bagage pour bien comprendre la démonstration ou juger si elle est convaincante … . Peut-être vaut-il mieux lire une explication de texte si on est novice en économie/ pas spécialiste en économie politique de l’Angleterre au 18-19e siècle …