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Résumé
Que serait la France sans Picasso ? Que serait notre XXe siècle sans ce jeune Andalou fauché qui débarque à Paris en 1900 pour bousculer l'époque et les bonnes habitudes ? Pourquoi donc l'avoir surveillé, espionné, classé aussi longtemps dans notre liste de suspects en tant qu'anarchiste ? Pourquoi lui avoir refusé la naturalisation et fermé la porte de nos musées des décennies durant ? C'est la question, souvent contournée par les exégètes et les thuriféraires de l'artiste, de cette enquête fouillée et proprement sans précédent, qui fait revivre soixante-dix ans d'allées et venues qui nous concernent de près, qui que nous soyons. On aura compris que « Picasso l'étranger », cette exposition sur un trublion très singulier, porte aussi sur la France en général. Sur une planète culturelle et sur une époque de notre histoire qui nous rappellent l'une et l'autre qu'il y a toujours deux France en France. Un pays d'accueil ouvert à tout ce qu'il y a de plus singulier et un enclos revêche qui rêve encore de fermer portes et fenêtres. Et si l'on faisait l'impossible pour garder la première en vie ? Régis Debray Picasso est longtemps resté otage des beaux-arts. C'est par le prisme des sciences sociales que le catalogue Picasso l'étranger aborde sa relation avec la France. Dans une polyphonie inattendue, à côté des oeuvres et des documents exposés, sont convoquées ici des voix plurielles (droit, géographie, anthropologie, sociologie, histoire) complétant les analyses des historiens d'art. En s'attaquant, souvent pour la première fois, à l'« objet Picasso », elles dévoilent - paradoxe majeur - que le peintre aujourd'hui mythique a été considéré comme un paria pendant ses quatre premières décennies en France. Stigmatisé ou ostracisé parce qu'étranger, engagé, artiste d'avant-garde, le jeune Picasso vécut dès 1901 sous la constante surveillance de la police : autant de dates consignées, d'empreintes digitales répétées, de photos d'identité sur lesquelles il semble un repris de justice. Mais Picasso ne subit pas, il explore, il avance et construit avec obsession son oeuvre magistrale, immédiatement célébrée dans le monde occidental mais rejetée par l'Académie des beaux-arts, attachée à préserver le « bon goût » français. À quelles stratégies l'artiste a-t-il recours pour naviguer dans un pays secoué par des vagues de xénophobie et entravé par des institutions souvent obsolètes ? Comment construit-il ses réseaux pour imposer les normes de son propre univers - inclusif, innovant, subversif ? Au-delà de son génie artistique, Picasso révèle d'impressionnants talents de stratège politique. En habitant sa position d'étranger et d'artiste global, il devient un puissant vecteur de modernisation de la France. Avec ses multiples « sphères d'appartenance », c'est comme si, en pionnier des modèles du XXIe siècle, il faisait exploser les frontières traditionnelles des États-nations, en annonçant les nouvelles formes cosmopolites contemporaines. L'odyssée de Picasso étranger en France ne fait-elle pas écho à la renaissance de nos xénophobies ordinaires ? Ne résonne-t-elle pas aujourd'hui pour toutes ces existences subalternes qui se heurtent au rejet de l'autre ? En croisant outils et notions au carrefour de plusieurs disciplines, ce catalogue installe Picasso au coeur de nos préoccupations les plus contemporaines. Annie Cohen-Solal